22/11/2010

Texte de Frederic-Charles BAITINGER

Lou-Han ou les hystoires du chagrin réfléchi

« Nous ne cherchons pas ce qui appartient au présent, mais ce qui appartient au passé, non pas la joie, car elle appartient toujours au présent, mais le chagrin, qui par sa nature même, passe rapidement, et qui ne se laisse voir qu’à la dérobée, comme un homme qu’on aperçoit à l’instant même où il tourne le coin pour prendre un autre chemin et disparaître. »
Søren Kierkegaard

Si Marguerite Duras confesse avoir écrit l’Amant autour d’une seule image mentale – d’une seule photographie, que dire des hystoires de Catherine Nicolas sinon qu’elles s’apparentent à ce type d’expression flottante – ou plutôt, comme en quête d’un souvenir à jamais enfoui. Lou-Han. Ni tout à fait réel, ni vraiment imaginaire. Lou-Han enfant d’Asie ; enfant mythique ; enfant perdu. Qui es-tu ? Voici peut-être la question que nous adressent en sourdine ces oeuvres – car dans le dédale de songes où nous entraine l’artiste, son image semble vouloir se perdre dans les détours de sa fantaisie ; Lou-Han – prénom souvenir dont les éclats ont fini par reprendre vie dans une autre âme.
Un visage, une bouche – Beijing. En un instant, l’ombre d’une absence a germé sur le vide. Et la bouche de l’artiste a chuchoté son premier poème ; et ses mains ont tracé ses premiers dessins ; et son esprit a fomenté son premier récit. D’une ombre entr’aperçue Catherine Nicolas a enfanté un mémorial ou plutôt, une offrande votive dédiée au culte de Mnémosyne – divinité étrange et impalpable protégeant l’entrée du palais de sa mémoire. Lou-Han souvenir obstacle ; Lou-Han souvenir mythique. L’art, ici, n’est plus au service de l’idéal mais de l’expression plastique d’une émotion intime – d’un sentiment de perte et d’abandon. C’est pourquoi Lou-Han ne désigne pas seulement une personne physique mais un archétype : il incarne l’amour en son retrait, le don repris – et l’impossible repentir de celui qui a aimé de tout son coeur.

Frédéric-Charles Baitinger

Journaliste, philosophe et critique d’art pour Artpoinfrance et Artension

1 « Le présent est oublié, l’extérieur percé, le passé ressuscité, la respiration du chagrin est facilitée. L’affligé se sent soulagé, et le chevalier sympathisant du chagrin se réjouit d’avoir trouvé ce qu’il cherchait, car nous ne cherchons pas ce qui appartient au présent, mais ce qui appartient au passé, non pas la joie, car elle appartient toujours au présent, mais le chagrin, qui par sa nature même, passe rapidement, et qui ne se laisse voir qu’un instant, comme un homme qu’on aperçoit à l’instant seulement où il tourne le coin pour prendre un autre chemin et disparaître. », Søren Kierkegaard, Ou bien Ou bien.

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